"La vie me sied mal ; la mort m'ira peut-être mieux." Chataubriand

- Tu es mon amie, n’est-ce pas ? N’est-ce pas, Louise ?
- Je.. Oui, bien-sûr Cassandre, quelle question ! Oui, je suis ton amie ! »

Quelle situation embarrassante pour Louise. Que peut-elle bien dire face à cette psychopathe ? Cette folle imprévisible ?
Cassandre,
elle l'a connu au lycée, et depuis, elle a tant changé, que ce soit
physiquement ou mentalement.. Tout d’abord, de la douce jeune fille aux
cheveux blonds et au visage pâle mais rosé et joyeux, elle est passée à
la fille aux cheveux de jais, au regard meurtrier; ses yeux se sont
assombris, elle est devenue très blanche, un peu trop. Elle ne s’habille
plus pareil non plus, elle porte rarement des robes, et quand elle en
met, elles sont ce qu'on pourrait qualifier de.. spéciales. Du mauvais
goût pour certains, juste un choix pour elle. Ses cheveux sont emmêlés
et trop long, ils n’ont pas non plus de « forme », le dégradé serait à
refaire. Mais Cassandre s’en fiche, ça ne l'intéresse plus. Si son
portrait physique est si effrayant, qu'en est-il lorsque que l'on dresse
le portrait psychologique ?
Elle est à la fois imprévisible et
indiscernable, ses réactions son insensées, sa logique est illogique.
Elle n’a pas de raison, agit par pulsion et ne discerne plus le bien du
mal. Elle commet l'impardonnable, elle s’approprie les droits de Dieu,
elle juge la vie et la mort, octroie la sentence ultime par son seul
jugement. Et elle ne ressent aucune honte, aucune conscience, aucun
regret. Elle est folle.

« - Puisque nous sommes amies, tu peux lâcher ce couteau, n’est-ce pas Cassandre ? » Qu’essaie d’intimer Louise.

Cassandre
se redresse, s'assoit sur le lit où elle tient prisonnière la «
blondinette », comme elle aime l'appeler. Elle réfléchit. L'instant
d’une minute, Louise se croit sauvée.. L'instant d’une minute cependant.
Cassandre
se repositionne au-dessus du corps de la blonde, elle joue avec le
revers de sa lame, la fait glisser du nombril jusqu'au sein de son «
amie ».

« - Voyons, Cassandre, ce n'est pas vraiment ce qu'on fait à ses amis, arrête s’il te plait ! »

Encore
une fois, Louise essaie de convaincre cette fille. Mais elle le sait,
c’est inespéré, elle va mourir; c’est la fin, elle va la tuer. Cassandre
exprime sa pleine domination, elle contrôle tout, c’est trop parfait,
elle éclate d’un rire cristallin, comme si elle était innocente.

«
- Les amis, quelle belle invention ! Tu ne m’auras pas, vous êtes tous
pareils, on ne devrait pas espérer avoir des amis ! Il faut que tu
comprennes, Louise ! Avoir des amis ne t’apportera jamais rien de bon !
Jamais ! Jamais, jamais, jamais ! »

Cassandre finit par presque
hurler. Voilà, elle perd encore conscience, songe Louise. S’en est
fini.. Mais soudain, des sirènes de police résonnent alors que Cassandre
s’apprêtait à entamer sa dissection. Elle se redresse brusquement. Ce
n’est pas possible, pas maintenant, alors que les choses devenaient
enfin intéressantes, alors que sa position était si bonne, si jouissive !
Elle grogne tel un animal, et entre deux injures verbales, elle
sectionne une des oreilles de son amie.

« - Ce n’est que partie remise, on se reverra, mon amie ! »

Cassandre insiste bien sur le mot « amie », puis se relève tandis que Louise hurle à l'agonie.

«
- Après tout, des amies ne devraient pas rester trop longtemps
éloignées, les liens risquent de se défaire; ce serait stupide, tu ne
trouves pas ? »

Sur ces quelques mots, elle quitte l'appartement
le plus rapidement possible alors que Louise hurle encore et encore, la
main sur son oreille; elle se retourne dans le lit, tâchant les draps un
peu partout. La douleur ne part pas.

Les policiers sont en bas
de l'immeuble, ils entrent, grimpent les marches quatre à quatre; c’est
un voisin qui les aurait prévenu. Ils montent jusqu'à l'appartement d’où
provenaient les hurlements. Sur leur garde, ils rentrent et portent
secours à Louise après avoir vérifié qu'aucune mauvaise surprise ne les
attendait. Ils n’ont croisé personne dans les escaliers, deux flics
montent aux étages supérieurs, mais là encore rien. Ils donnent l'ordre
de bloquer l'accès et la sortie du bâtiment.

Une fois la victime
en sûreté, ils fouillent un à un les autres logements; mais rien, rien
d'inhabituel, personne d’étranger et surtout, personne ne correspondant
au profil de Cassandre. Où est-elle passée ? Elle n’a pas pu filer,
c’est impossible.

« Je n’en peux plus. »

La discussion au foyer Kagagi n’est pas
des plus belles ce soir. En effet, depuis le départ de table prématuré du jeune
fils, les deux parents ne cessent de se reprocher ceci et cela, aucun
des deux n’étant capable de faire la trêve, de prendre sur lui et de
reconnaître ses torts. Les deux sont à cran, les deux ont besoin de
rejeter la faute sur quelqu'un. Et ce depuis le décès de leurs fille
ainée, il y a de cela deux ans déjà. Mais tous les deux sont incapables
de mettre fin à cette mascarade. Depuis la mort de Rei, leur relation se
détériore, à tel point qu'ils ne font plus attention à leur dernier
enfant, qui, pour se faire remarquer, enchaîne fugues, bagarres et
altercations avec la police. Mais rien n’y fait, ses parents sont
aveugles à ses avertissement, préfèrent se dire qu'il est perturbé mais
que ça passera. Ses parents préfèrent rester sourds, encore une fois.
N’ont-ils pas déjà assez commis cette erreur ? Mais la dernière phrase
de cette mère de famille récapitule tout, elle n’en peut plus.
Personne
n’en peut plus, cette situation s'éternise depuis déjà trop longtemps,
mais toujours le même scénario. Elle prépare ses valises, le flanque à
la porte mais ne parviens pas a la verrouiller; elle n'a jamais le
courage de le flanquer réellement dehors. Et cette soirée, comme celle
d’il y a deux jours, ne manquera pas à l'habitude qui s’est instaurée. «
Je n’en peux plus ! Je n’en peux plus ! » répète-t-elle, et au fur et à
mesure qu'elle entasse les vêtements de son époux dans une valise, les
larmes coulent de plus en plus. Que pourraient-ils faire d’autre ? Il
n’y a qu'une échappatoire, ils le savent tout les deux, aussi bien l'un
que l'autre. Mais aucun ne veut l'admettre, après dix-neuf ans de
mariage, il est dur de se dire que ce fut des années gâchées, des années
qui n’auront débouché que sur un divorce et une perte d’argent.

Évidemment,
il reste leur enfant, mais ces parents sont devenus tellement égoïstes
qu'ils en ont oublié le plus important. « - Dégage de ma vie, et cette
fois fais-le vraiment ! » Supplie la mère de famille. L'homme reste
muet, il n’ose rien dire, il a peur, lui aussi. Peur de se retrouver
sans rien, amour, argent et travail. Oui, travail; cela fait deux
semaines qu'il s’est fait viré, et évidemment il n’a pas trouvé le
courage de le dire. Et il ne le trouve toujours pas, elle lui en
voudrait. Ce serait vraiment la fin de tout, alors il reste muet et
encaisse. Mais parfois il lui renvoie ses piques, c’est plus fort que
lui.

De son côté, Mashiro ne loupe rien à ce qui se passe dans le séjour. En
effet, les murs sont peu épais. Alors, il attrape son MP3 dans l'espoir
que la musique puisse couvrir les cris de ses géniteurs;
malheureusement, sitôt allumé, l'appareil s’éteint : Plus de batterie.
Décidément, le monde est contre lui ! Il attrape alors son ordinateur,
espérant que, lui, il ne le lâchera pas ! Il se connecte rapidement sur
MSN, un logiciel de communication, et c'est à peine arrivé qu'une page
de conversation s’ouvre. C’est Miyuuko, une fille rencontrée sur
Internet, une comme tant d’autres.

« - Salut Samouraï !!
- Coucou Miyuko !
- Ca va ?
- Non, pas du tout.. »

La conversation se poursuit; il lui raconte tout, sans aucune gêne, alors
qu'il ne la connait que depuis quelque semaines, et pourtant, il parle
de ces choses si personnelles. Il évoque le décès de sa soeur, qu'il
qualifie d’élément déclencheur à son malheur. Il lui en veut, à cette
soeur ! Et il libère toute cette haine en dévoilant tout à cette fille
dont il ne connaît même pas le nom. Mais il a besoin de se confier..

« Il y a deux ans, elle est morte, je t’en ai déjà parlé, depuis les
vieux se foutent pas mal de ma gueule, ils se cherchent des noises et
veulent même pas se séparer, j’en ai trop mare Miyuuko !
- Roh mais dis pas ça ! Tu verras ça va s’arranger avec tes parents. »

Miyuuko est gentille mais naïve; elle donne de faux espoirs et ne s'en rend
sûrement pas compte. Mais de toute façon, que pourrait-elle faire
d'autre ? Envoyer la vérité en pleine gueule à ce gamin d’à peine 15 ans
? Lui cracher ses quatre vérités sur la vie ? Lui avouer que non, tout
n’est pas tout rose ? Mais ça, il le sait déjà et il n’a pas besoin
qu'on le lui redise, et puis ce n’est pas dans son intérêt, à elle.

«
- Je crois pas Miyuuko, cette fois c’est pour de bon, je sais pas
pourquoi mais je le sens, j’aime pas ça, j’en ai marre, j’ai envie de
partir !
- Je suis là pour toi, moi, si t’as besoin. »

Elle est là, mais jusqu'à quand ? Et surtout.. Pourquoi, en échange de
quoi ? Car au fond, il ne sait rien d’elle, elle est peut-être une
vieille femme d’une cinquantaine d'années malgré le fait qu’elle
prétende n’en avoir que 16 tout frais.. Mais il décide de la croire,
c’est son choix, il décide d’accorder sa confiance, peut-être un peu
trop vite, un peu trop tôt. Alors, comme il lui fait confiance, ce soir,
même s’il ne croit en aucun dieu, même s’il a cessé de croire en toute
divinité, ce soir il prie ! Car ça l’arrange, car peut-être que le
temps, comme lui conseille Miyuuko, arrangera les choses. « Juste pour
un peu de temps, j’aimerais qu’ils s’entendent, par pitié, un peu de
temps. »

« Gardez-vous de demander du temps : le malheur n’en accorde jamais.» [Honoré Gabriel, Comte de Mirabeau]